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Textes concours d'écriture 2025
Les thèmes
Un rêve de jeunesse...
Si j'avais une autre vie, je voudrais être...
L'être le plus extraordinaire que j'ai rencontré...
Les trois textes gagnants ont été publiés et sont maintenant dans les archives.
Un nouveau texte choisi parmi tous les textes reçus sera publié ici
chaque mois de 2025.
À lire ce mois-ci sous le thème
Si j'avais une autre vie, je voudrais être...
par Danièle Demers
Si j’avais une autre vie à vivre, je voudrais être…
On me surnomme Gustave, je suis une Hyundai KONA électrique. Lorsque mon propriétaire discutait avec sa fille de votre concours d’écriture, je me suis mise à rêver.
Comme mon pneu avant est inapte à tenir un crayon, je lui ai demandé de vous transmettre mes réflexions. Pourquoi n’y aurais-je pas droit ?
J’aimerais me transformer en berline, pas la voiture moderne, mais le modèle que l’arrière-grand-père
de mon acquéreur s’est procuré en 1902.
Munie de quatre grosses belles roues peinturées en rouge et de deux sièges de cuir noir, elle protégeait ses occupants de la pluie et des rayons du soleil par un toit pliable. Deux chevaux attelés devant moi me conduiraient pour les sorties.
Je sais, je possède un rétractable, mais où est passé le romantisme avec un bolide qui roule à cent kilomètres-heure ?
À cette époque, une promenade amenait la discussion, la chanson et le temps d’admirer la nature en été. Arrivé à l’automne, on le parait pour l’hiver. Salum fixait ses roues de bois et enfilait deux jolis patins qui lui permettaient de glisser sur la neige pour le rendre à l’office du dimanche. L’après-midi, un de ses fils le réservait afin d’aller courtiser sa douce.
Tiens, j’ai entendu un souvenir que mon conducteur révélait à son fils adolescent, parlant de son aïeul Philippe. Je vous rapporte sa conversation :
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Mon père m’a déjà raconté la stratégie qu’il a inventée pour embrasser ta grand-mère pour la première fois.
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Ils s’embrassaient à cette époque ! réplique-t-il, sceptique.
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Bien oui, mais les occasions se faisaient plutôt rares, car en 1928, un chaperon escortait les amoureux. Veux-tu savoir comment il s’y est pris ?
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Pourquoi pas !
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Un samedi soir d’hiver, après une veillée de danse chez les Goyer, une tempête débutait, créant des lames de neige sur la route. Son frère accompagnait Clara, mais il projetait de partir plus tard. Papa, bon conducteur, s’offrit pour la ramener. Il contrôlait bien son attelage et il zigzaguait entre les masses accumulées au sol. Soudain, le vent diminua et les flocons devinrent de gros morceaux de ouates tombant du ciel. Ton grand-père aperçoit au loin la route presque bloquée. Il se dit : c’est ma chance ! Plutôt que de tirer sur les rênes pour ralentir les chevaux et faire glisser tranquillement la carriole, pour franchir le banc de neige, il les claque sur le dos. Ceux-ci partent au galop. Bien entendu, les patins s’enlisent et l’attelage se retrouve sur le côté. Ta grand-mère tomba et gisait couchée de tout son long. Papa qui avait prévu le coup contourne les étalons pour l’aider à se relever. Il se penche, déblaie les quelques flocons recouvrant son visage et lui donne un baiser.
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Il avait du culot, grand-papa, elle aurait pu se blesser, balance son fils en riant aux éclats.
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Tu as raison, j’imagine qu’il avait calculé que la neige amortirait le choc. On peut dire que son manège a bien tourné ! Plus tard, ses frères décorèrent la berline, telle une calèche utilisée pour les mariages.
Comme j’aurais aimé vivre ce moment, n’est-ce pas romantique ? Elle a été remisée dans la grange jusque dans les années soixante. Moi, la seule chose que je vois est du « necking » sur le siège arrière ! Ah ! La belle époque des années tranquilles !
Pourquoi voudrais-je revenir en arrière, me demanderez-vous ? Par nostalgie ? Par orgueil parce que je la trouve élégante ? Par fierté d’avoir tout son vécu en côtoyant cette famille ?
Mais non, si j’étais ce joli cabriolet, les participants du programme autobiographique parleraient de moi dans leur écriture.
Mon chauffeur arrête le moteur devant un musée et dit à son fils : « Allons voir la berline de ton grand-père ». Je garde mes phares allumés, c’est ma façon de le saluer.
Épilogue
Bien entendu, mon automobile ne s’exprime pas. Cependant, l’anecdote me fut racontée par ma mère qui est née en 1912.
Je ferai un voyage au Portugal en automne prochain et la visite du musée des calèches royales est comprise dans le forfait, alors j’ai laissé mon imagination vagabonder.
J’ose terminer mon texte en lui redonnant la parole.
Malheureusement, lorsque mon existence de voiture moderne sera en soins palliatifs, on m’enverra à la « casse ». Je vous le répète, n’ai-je pas le droit de rêver !
Si j’avais une autre vie à vivre, je voudrais être…La nouvelle et l’ancienne
Texte de Danièle Demers, publié décembre 2025