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Textes concours d'écriture 2024​

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Les trois textes gagnants sont maintenant dans nos archives.

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 À lire ce mois-ci sous le thème "Une journée vraiment spéciale"

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 par Yvon Buissière

 

La cité hors du temps

 

23 septembre 2002, c’est un jour comme les autres ; mes besoins de base me préoccupent. Je travaille pour assouvir mes nécessités vitales, telles que manger, boire, dormir, me reproduire et m’occuper de ma progéniture. Chaque jour, j’emprunte mon véhicule à quatre roues et parcours les routes modernes et le pont-tunnel qui traverse le grand fleuve pour me rendre à mon travail. 

Au fil des ans, qui a-t-il de changer ? Rien, si ce n’est que le visage de Montréal qui se transforme peu à peu sous mes yeux alors que je surplombe le Saint-Laurent. Ce visage est différent chaque matin ; parfois, ses édifices brillent au soleil levant, en d’autres temps, il est partiellement couvert par un léger voile de brume. L’hiver, il lui arrive d’être entièrement occulté par une violente tempête de neige. La valse des saisons maquille Montréal au gré des initiatives de dame Nature. La modernité asservie par le sédentarisme a supplanté la liberté, l’émancipation des peuples chasseurs-cueilleurs. Autrefois, les canots sillonnaient le grand fleuve, des arbres s’étalaient jusqu’aux pentes du Mont-Royal et l’air parfumé de cèdre et de sapin ouvrait pleinement nos poumons pour aspirer la vie à grand coup d’émerveillement. Ses doux arômes sont maintenant viciés par les gaz d’échappement des véhicules à essence.

Bien que tout ce paysage se transforme sous la domination de la nature et de l’homme motivé par le progrès, intérieurement je suis stagnant, voire prisonnier de la raison et de l’éducation reçues. Lorsque j’ai une décision à prendre, je n’ai aucune difficulté à faire la liste des avantages et des inconvénients, mais je n’arrive pratiquement jamais à faire des choix, à poser un geste, de peur de me tromper. Je demeure assis entre deux chaises, pour le moins inconfortables. Je me sens comme Gilles Legardinier lorsqu’il dit : « Or j’ai du mal à me débarrasser des problèmes. Je dirais même que c’est mon problème. Je prends tout à cœur, je me sens toujours concernée. Trop. » J’ai l’impression que, dans ma vie, tout s’embrouille davantage, comme atteint d’une cataracte irréversible. Pourtant j’ai tous les outils à portée de main : l’avis d’éminents psychologues, de coachs de vie sur YouTube, de collègues de travail, de séminaires sur tous les sujets pouvant m’intéresser. Tout est là ! Mais il me manque quelque chose. Il me manque un lien entre l’Ancien Monde et le monde moderne, une voix qui m’indiquerait le chemin à prendre, une voix qui vient du cœur.

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Tenez, par exemple, actuellement, l’éducation de l’un de mes fils adolescents me préoccupe. Il est à l’école publique. Sa réussite scolaire est compromise par l’utilisation de substances illicites très populaire chez les jeunes. Il semble avoir perdu de vue la nécessité d’obtenir un diplôme qui le conduirait à une position sociale acceptable pour assurer sa survie. Il est en deuxième secondaire et il se dirige droit vers un décrochage assuré. Une partie de moi comprend bien mon fils, car je me sens esclave de toute cette éducation. Cela m’a conduit vers cette routine qui embrouille ma vision intérieure. Toutefois, une force invisible m’avertit d’un danger, me fait signe que nous devons faire quelque chose pour lui. Ma conjointe et moi en avons discuté et avons pensé l’inscrire à un pensionnat loin de la ville. Tout cela coûte très cher financièrement et la réussite n’est pas garantie. D’un autre côté, on se dit que l’école publique est très bien puisque ma conjointe et moi avons obtenu nos diplômes dans ce secteur sans problème. Ce n’est que passager, tout va rentrer dans l’ordre, me dis-je en essayant de me convaincre. Je mis tout cela derrière moi et je me tournai vers les préoccupations habituelles. 

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24 septembre, je me rends à la base de plein air de Longueuil en compagnie de ma conjointe, pour l’heure du lunch. Il y a un petit casse-croûte pour se procurer des sandwichs. Tout en attendant ma commande, j’ai une pensée subite pour mon fils et à ses projets d’avenir, c’est comme une vision. J’ai au même instant la pensée suivante : « Les études, ça coûte cher ! Et surtout lorsqu’on ne sait pas quoi faire. » J’oublie vite cette pensée. Mon repas est prêt et nous mangeons. Après le lunch, ma conjointe se rend à son cours. Quant à moi, je marche jusqu’au bout du parc. Je m’assois près de l’étang aux roseaux. Il y a plein de petits sentiers sans aucune issue qui serpentent cette zone. Un homme aux allures étranges m’a suivi. Il m’observe. Je ne me sens pas bien, je décide de quitter ce lieu et de retourner vers les trois lacs, près du refuge. La présence de cet inconnu m’oblige à utiliser un autre sentier. Sur ce chemin, des inscriptions au sol attirent mon attention. Il est écrit en gros caractères dessinés à l’aérographe de peinture noire : « Vous pensez que l’éducation coûte cher ; essayer l’ignorance ! » Je demeure stoïque. Je relis le graffiti pour être certain de ne pas avoir rêvé. Je regarde autour de moi pour m’assurer que je suis encore dans la base de plein air. Je ne sais pas qui a inscrit cela à cet endroit, et je sais encore moins si cette personne savait quel impact cela aurait sur moi. Comment a-t-elle été motivée pour poser ce geste à cet endroit ? Ce message me frappe comme un éclair. Je ne peux pas l’ignorer. Il me remet en pleine figure ce que je venais tout juste d’éloigner de ma pensée. Je me sens tout étrange, comme si un portail venait de s’ouvrir vers un nouveau monde. Je me sens léger, porté vers un espace intérieur indéfinissable, puis on me souffle à l’oreille : « Soit le bienvenu dans la Sainte-Chroni-Cité ! ». Je regarde tout autour de moi, ma conscience est vive et tous mes sens sont en éveil. Je sens mon cœur vibrer de vérité. Je ne ressens plus cette lourdeur sur mes épaules ni l’aveuglement causé par cette embrouille intérieure. Tout est clair ! Je respire à plein poumon cette courte incursion dans ce monde entre deux mondes, dans la Cité hors du temps où le temps, l’Esprit et la matière ne font qu’un. 

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Mon cœur vibre intensément et je ne doute plus un instant des démarches à entreprendre. La semaine suivante, accompagné de mon fils, je fis la rencontre du directeur d’un collège. La rencontre fut agréable, j’étais ouvert à toutes éventualités. Le directeur nous a fait comprendre qu’il était un peu tard pour débuter des études dans un pensionnat en troisième secondaire, que l’enfant aurait beaucoup de difficultés avec la discipline et la charge d’études à entreprendre. Cela avait du sens. Sur le coup, j’étais déçu, mais convaincu d’avoir posé le bon geste. Au retour, nous avons eu le temps d’avoir une discussion père-fils. Nous avons échangé sur ses projets d’avenir et je pense que cet instant eut une portée positive et décisive sur l’orientation de sa carrière. Par la suite, il envisagea ses études sous un angle différent, de manière plus responsable. Il termina le secondaire avec succès, puis obtint un diplôme collégial et un autre de nature technique lui permettant aujourd’hui de subvenir à ses besoins de manière autonome.

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Depuis ce jour, qui fut pour moi une journée vraiment spéciale dans ma vie, je demeure à l’écoute de ce monde qui m’offre des occasions d’entrer en contact avec cette dimension. Depuis ce jour, répondre à mes besoins vitaux n’a plus le même sens et je considère mes enfants comme étant des miracles de la vie. Depuis ce jour, je n’accorde plus la même valeur aux événements. Je sais maintenant que cet univers, animé d’une conscience plus grande que soi, a côtoyé les hommes de l’Ancien Monde qui sillonnaient le fleuve en canot et qu’il continuera d’accompagner les civilisations à venir dans leur vaisseau intersidéral. Je sais maintenant que je suis devenu cocréateur avec les Guides, détenteurs de vérité, maîtres du temps et de la matière, citoyens de la Sainte-Chroni-Cité.

 

 

Texte de Yvon Buissière, publié 1er décembre 2024

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